A l’origine était un homme : Sergueï Anissimov. Photographe ?
Journaliste ? Pas du tout. Sergueï est ingénieur radio. Un jour de 1984,
sa carrière le mène loin de tout: à Салехaрд, une petite ville de
48 000 habitants grandie sur la rive droite de l’Ob, à près de 2000 km
au nord-est de Moscou. Le Cercle polaire arctique s’y déroule en pleine
zone urbaine.
Aux temps glaciaux de l’empire stalinien, des
cohortes de prisonniers ont transité ici en route vers les goulags de
Vorkouta. Certains ont bâti au prix de leur vie une voie de chemin de
fer absurde déroulée sur 350 km entre taïga, toundra et marécages –
revendue au poids de l’acier aux pires instants de la transition
économique des années 1990.
Salekhard est aujourd’hui en plein
essor. Capitale de la région administrative autonome de Iamalie (grande
comme 19 fois la Suisse), elle est aussi la plus grande métropole russe
du gaz – extrait du sous-sol de l’immense péninsule de Yamal, le « bout
du monde » en langue samoyède. En surface, une autre vie s’affirme:
c’est ici le bastion des Nénètses, un peuple semi-nomade chamaniste,
éleveur de rennes. C’est à leur contact que Sergueï étrenne, à partir de
2004, son appareil photo numérique – le premier de tout le territoire.
Envoûté par le Grand Nord
Cette
acquisition déclenche une passion soudaine. Sergueï ouvre enfin les
yeux sur ce territoire glacé qui s’étend, immense, aux portes de son
HLM. Il appuie sur le déclencheur. Encore et encore. Sa première
participation à un concours photo est un échec: la route est longue
jusqu’à l’excellence. Volonté chevillée au corps, il s’acharne. Sa
blague favorite ? « Je disais à ma femme que j’allais passer la nuit
chez ma maîtresse et, à ma maîtresse, que je restais chez ma femme… Tout
ça pour aller faire de la photo ! »
En 2006, Sergueï se sent enfin
assez confiant pour soumettre de nouveau ses images. Manque de chance :
le concours auquel il voulait participer n’existe plus… Qu’à cela ne
tienne. En chaque russe sommeille un combattant de l’impossible. Il
expose. Et, puisqu’il ne peut plus concourir, il crée son propre
concours ! Voilà comment, partis d’une obscure ville du nord-ouest
sibérien, les Global Arctic Awards ont déferlé sur la planète photo.
Les Global Arctic Awards aujourd’hui
Sergueï
est aujourd’hui un photographe reconnu pour son expertise de la
péninsule de Yamal. Une bonne image, dit-il, « exige de la pratique,
beaucoup de pratique. Du talent et un bon équipement. Mais, plus encore,
de se trouver au bon endroit au bon moment. » Il faut voyager.
Parcourir du pays. Sergueï a traîné ses guêtres au Groenland, au
Spitzberg, en Norvège, dans le Grand Nord canadien et jusque sur l’île
de Wrangel, dans l’extrême nord russe. Le magnétisme des régions
septentrionales ne cesse de l’envoûter.
Chaque année, ils sont de
plus en plus nombreux, à ses côtés, à affirmer la beauté et l’unicité de
ces terres extrêmes. L’édition 2017 des Global Arctic Awards a ainsi vu
160 photographes, originaires de 28 pays, prendre part à l’événement.
Parmi eux, 5 Suisses, sans compter Alessandra Meniconzi, membre
permanent du jury. « Cette année, un photographe se détache de manière
incontestée: le Norvégien Audun Rikardsen », affirme Sergueï. Professeur
de biologie à l’Université de Tromsø, spécialiste des images
sous-marines – si difficiles à réaliser sous ces latitudes –, celui-ci a
déjà participé à plusieurs éditions, mais jamais ses clichés n’avaient
atteint une telle technicité et suscité un tel engouement.
Ses
photographies ont été présentées, parmi toutes celles couronnées, lors
de la grande exposition organisée en avant-première à Salekhard le 18
février dans le cadre du Festival Art Arctic. Elles vont désormais
partir en tournée d’un bout à l’autre de la Russie. Sergueï annonce
parallèlement la publication prochaine d’un livre qui reprendra le
meilleur des cinq premières éditions du concours. À suivre!
www.arcticawards.ru